L’INSEE avoue (enfin) « une erreur de prévision »
On sait l’intérêt que nous portons sur ce site aux questions de statistiques économiques et de prévisions. Nous y avons déjà consacré de nombreux articles :
http://cee.e-toile.fr/index.cfm/2009/4/23/FMI--un-an-de-retard
http://cee.e-toile.fr/index.cfm/2009/4/12/Lettre-ouverte--lINSEE
http://cee.e-toile.fr/index.cfm/2008/8/22/Le-PIB-le-Pauvre-Indicateur--Biais--de-la-conjoncture
C’est évidemment une question centrale pour ceux qui comme nous essayons de raisonner sur les chiffres pour essayer de découvrir des tendances et annoncer à temps certaines ruptures et qui nous retrouvons souvent en contradiction majeure avec les prévisions officielles et en crise de crédibilité avec nos interlocuteurs qui refusent par exemple de passer nos avertissements en excipant que les instances officielles ne pensent pas comme nous et que leur rôle n’est pas de favoriser les élucubrations.
Nous nous sommes heurtés au moins quatre fois à ce genre de réactions :
En 1997 lorsque nous affirmions que l’emploi était en pleine expansion alors que tout le monde annonçait « la fin du travail » et que le gouvernement Jospin se lançait dans l’erreur majeure des trente cinq heures
En 1999 lorsque nous annoncions le début de la crise décennale pour la mi 2000 aux Etats unis et 18 mois plus tard en France et accessoirement lorsque nous critiquions l’idée de la croissance perpétuelle sans crise grâce à internet et l’économie de l’information sans stock
En 2003 lorsque nous écrivions que Greenspan se trompait et qu’on sortait pour la seconde fois d’une crise en créant les conditions d’une crise subséquente plus grave
Depuis début 2006 date à laquelle nous n’avons cessé d’avertir qu’une crise sévère était en préparation et dont nous avons constamment précisé la date du retournement et sa gravité.
On voit qu’il ne s’agit pas d’un plaisir de Cassandre : l’annonce d’une reprise forte de l’emploi était plutôt sympathique !
L’Insee reconnait une erreur de prévision dans son dernier Bulletin de Conjoncture (http://www.insee.fr/fr/indicateurs/analys_conj/archives/mars2009_ve.pdf ) :
« Au quatrième trimestre 2008, le PIB s’est contracté de 1,2 % (cf. graphique 1), ce qui représente un écart de -0,4 point par rapport à notre dernière prévision (-0,8 % dans la Note de conjoncture de décembre).Cette erreur de prévision est imputable principalement à la très forte contraction de la production manufacturière au quatrième trimestre qui a été sous-estimée (-7,6 % contre -4,0 % anticipé) ».
Cette reconnaissance est bienvenue. D’autant que le même bulletin avertit que les modèles de prévisions utilisés sont peu adaptés aux circonstances exceptionnelles que nous traversons. Ce qui annonce d’autres prévisions très incertaines.
Cette prudence ne doit pas nous empêcher de remarquer que l’erreur n’a pas seulement concerné le dernier trimestre. Avec les dernières révisions, l’Insee admet que la France est en récession depuis pratiquement un an, comme nous n’avons cessé de la dire. Et pendant un an on a vu le gouvernement nier ou minimiser la crise en s’appuyant sur ces prévisions fausses. On se souvient du débat ridicule de septembre 2008 où Mme Lagarde expliquait qu’il n’y avait pas de récession en France qui faisait mieux que tout le monde (comme le nuage de Tchernobyl, la crise épousait nos frontières sans les pénétrer) et le débat budgétaire psychédélique mené par M. Woerth sur des bases sottes au point d’être irresponsables.
La question de base est que le modèle utilisé pour la prévision est entièrement basé sur des estimations elles mêmes fruit d’une estimation économétrique de tendance. En gros on estime que ce qui est va perdurer sauf évidence d’un élément contraire chiffrable. Résultat : les chiffres de l’Insee, comme ceux d’Eurostat ou du FMI ont constamment couru derrière la réalité parfois avec un retard effrayant.
Il n’y a pas de véritable RAISONNEMENT sur la conjoncture. Donc on ne prévoit pas les ruptures. Les conjoncturistes de l’INSEE (et c’est encore pire pour ceux de la Banque de France) n’ont pas d’outils intellectuels pour anticiper les ruptures. Dans tous les textes que nous avons envoyés aux uns et aux autres nous avons toujours annoncé la crise en essayant de rester le moins technique possible sachant que cette technique aurait été aussitôt ou incomprise ou rejetée comme non pertinente compte tenu des manières de penser en cour (cad de l’absence de toute pensée remplacée par des modèles). Notre alerte était toujours basée sur deux thèmes faciles et n’entraînant pas trop de réserves a priori : attention le cycle existe et on va nécessairement vers un retournement ; attention les déséquilibres financiers sont tels qu’ils ne peuvent conduire qu’à la catastrophe. Avec cela en tête il était facile de collecter les signes précurseurs du retournement (par exemple fin 2006 le retournement du marché de la construction immobilière aux Etats unis) ou de la crise financière (par exemple le blocage de l’été 2007 sur les subprimes et les différentes faillites bancaires successives). Il était relativement aisé de prévoir que la crise serait très forte, au moins aussi forte que celle de 93 ou 74. Pendant toute le premier semestre 2008 les journaux n’ont cessé de bruisser des avertissements d’une crise sévère. De nombreux journaux ont posé la question : va-t-on vers une récession rapide voire une crise de 1929 ? Nous avons répondu à certains de ces questionnements. Toujours en annonçant une crise sévère.
Le FMI comme l’INSEE ont été totalement imperméables à ces avertissements et ont perduré dans l’application bestiale d’estimations irréalistes nourrissant des théories aussi absurdes que celles du découplage. Faute de théorie et avec juste en main des outils statistiques de répétition du passé, les conjoncturistes officiels ont été totalement incapables de donner des indications sur ce qui se passait et encore moins sur ce qui allait se passer.
La statistique économique sans pensée économique n’est que ruine de l’âme.
Du coup il n’y a pas eu de politique économique. Pendant la campagne présidentielle nous n’avons cessé d’alerter le camp Sarkozy sur le fait qu’il devait anticiper un récession pendant le futur mandat présidentiel et le camp Ségolène de l’irréalisme et même la bêtise qu’il y avait à faire financer des dépenses somptuaires par une croissance qui ne serait pas là ! Compte tenu des prévisions officielles qui ne disaient rien de tel, nos affirmations sont passées (au mieux) pour des calculs politiques de mauvais aloi.
Ce n’est qu’aujourd’hui, soit avec un an de retard, que les autorités sont en face d’un bilan réaliste de ce qu’a été l’économie depuis le début 2007. Et il est clair que le gouvernement a été totalement dépassé par les évènements et que sa politique a été totalement déphasée, tout comme celle de la BCE qui rappelons le imaginait un scénario de reprise de l’inflation pour le second semestre 2008 et avait augmenté ses taux d’intervention en pleine crise de liquidité des banques (qui durait depuis un an).
Les erreurs de statistiques sont l’amère progéniture de l’absence de théories économiques. Il n’est pas difficile de prévoir qu’un endettement qui va atteindre 400% du PIB va s’effondrer. Il faut simplement regarder cette réalité en face, la considérer comme pertinente et fouiller la réalité bancaire pour voir où les fissures se font jour. Quand la crise de liquidité sur le marché interbancaire s’est produite, il est à peu près certain qu’aucun des statisticiens ou « économistes » de l’INSEE n’avait la moindre idée du marché des subprimes et de son développement, pas plus que celui des CDO et des CDS. Il y a eu depuis un rattrapage à marche forcée qui fait qu’une analyse du phénomène est proposée dans le même bulletin de conjoncture près de deux ans après les faits ! Bonjour la capacité d’anticipation…
Il est vrai que l’économie bancaire est le secteur le plus mal traité de l’économie et celui des finances internationales le plus mal traité de l’économie bancaire. Comme l’information diffusée par les banques est en général totalement fabriquée, le cumul d’un traitement hésitant de statistiques fausses par des statisticiens privé
Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef, aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants, explications sur le retard français, analyses de la langueur de l'Europe, réalités de la mondialisation, les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable. Association loi 1901 |
Pour les déficits publics en France on est aussi loin du compte. La Cour des comptes annonce que les déficits représentaient en 2008 25,4% des recettes alors que la crise n'explique que 4 milliards des 56,3 milliards de déficit.
Si on est bien sur une trajectoire de récession de 5% les cent milliards de déficit sont pour 2009 ou 2010.
Parions que la désinformation (et pas seulement les erreurs) va continuer en cas de collectif et en tout cas pour la préparation du budget 2010 qui va être tsoin tsoin.
Sylvain
A propos, quel rapport cette mesure avec les causes de la crise ?
LH
Et rien ne se passe. Aucune réforme importante n' a été lancée. Bizarre.