L'équilibre des retraites privées retardé de 20 ans

Le retour des réalités sauvages

« L’équilibre des retraites repoussées de 20 ans ». Il n’aura pas fallu deux jours pour que la réalité, tranquillement cassée sous le tapis depuis tant de mois, fasse sa réapparition. Ce n'est pas rien de repousser de 20 ans l’équilibre d’un système qui devrait être systématiquement équilibré (c’est le propre des systèmes de répartition). Naturellement, ces informations ne tiennent pas compte des retraitées publiques payées par l’impôt et pour lesquelles aucune provision n’a jamais été faite, et dont l’engagement n’est jamais compté dans les dettes. Si la fusion des régimes de retraites être mise en œuvre, l’équilibre des comptes devrait être renvoyé quelque part entre 2 100 et 2 150.

Pleurons le destin des retraités privés français qui vont voir leur CSG croître de 12 à 15 %, en même temps que l’inflation, qui repart, va éliminer près de 2 % de leur pouvoir d'achat.

La bonne solution aurait été, naturellement, d’imposer la retraite pour tous à 65 ans avec 45 ans de cotisation pour disposer du taux plein. De même il fallait supprimer l’ineptie de la pénibilité.

Dans le même temps les premières indications montrent que les comptes publics de 2017 seront profondément dégradés et les engagements européens de la France non tenus à nouveau. La seule solution ayant des résultats à court et à moyen termes est de monter le temps de travail des fonctionnaires et agents publics aux valeurs constatées dans le privé, sans augmentation de rémunération, en, commençant à freiner durement les dépenses de personnel, en réduisant le champ de l’action de l’État et en bloquant largement les recrutements.

Le nouveau gouvernement a annoncé qu’il ne ferait pas de collectif budgétaire comptant sur la hausse massive de la CSG et des meilleurs rendements de la CSG et de la TVA grâce à la reprise légère qui se confirme.

Quiconque ouvre les yeux voit que l’inaction actuelle est une non politique.

Tout cela ressemble farouchement aux premiers pas de M. Hollande : compter sur la reprise et la hausse des impôts et ne faire aucune réforme qui fâcherait la haute et basse fonctions publiques.

La procrastination commence en même temps que le retour aux réalités.

Le "macronisme" vu d'un pays voisin

La réserve montrée vis-à-vis du phénomène Macron nous a valu un certain nombre de critiques. Nous avons demandé Sylvain Dieudonné que nos lecteurs historiques connaissent bien, d’utiliser sa neutralité belge pour proposer un point de vue dégagé des passions proprement françaises.

 

La France ne manque pas de bons analystes politiques et nul doute que le phénomène Macron, qui a balayé le champ politique français avec une belle intensité, offrira à leur talent un champ de travail pour de longues années. Pour les Européens membres de l’Union, les questions de politique intérieure des autres pays membres ne sont pas déterminantes. Le niveau économique extrêmement bas de la France pose en revanche un problème collectif. Il n’y a aucun doute que de nouvelles difficultés françaises feront disparaître l’Euro et provoqueront une sorte de tsunami également mais moins agréable.

De ce point de vue l’approche « macronienne », fourmillante et ambiguë, discursive et posturale, séductrice jusqu’à l’enflure marketing, tout en prétendant aller au fond des choses, pose une difficulté. Les difficultés sont des rocs. François Hollande a vu ses discours initiaux se déchiqueter sur des maux plus forts que les mots.

Il est intéressant d’isoler ces écueils qui sont autant de défis incertains compte tenu du flou dans la bonne volonté générale qui s’est exprimée.

Premier défi : Macron est vu comme le produit d’une caste, la bourgeoisie d’État, qui s’est associée à la haute bourgeoisie de la finance et des affaires, qui détient le pouvoir médiatique en partage avec l’État. Il doit nécessairement s’en distancier pour ne pas paraître rapidement comme un factotum. La prise de distance sera-t-elle d’apparence ou non ? Telle est la question. On peut attendre Macron à quelques virages :

-          Va-t-il décloisonner la haute fonction publique et la séparer étroitement du politique ? Les grands corps sont trop nombreux, surannés, trop figés sur les classements de fin d’études et dotés de privilèges extravagants, dont le vulgaire n’a même pas idée. Va-t-il réformer ?

-          Va-t-il réduire le champ de l’action publique et son intensité qui sont excessifs en France et réduire réellement les effectifs des fonctions publiques ? Une baisse de 2 % en 5 ans est évidemment d’une très grande modestie. Mais peut-on faire même aussi peu sans allonger le temps de travail des fonctionnaires ?

-          Va-t-il réduire les incroyables subventions publiques accordées à la presse et aux journalistes ou continuer à arroser le secteur en favorisant la poignée de dirigeants qui tient le secteur privé tout en réduisant les ambitions déraisonnables et les partis pris d’un secteur public bouffi et constamment en expansion ?

Sur tous ces sujets le nouveau Président a commenté, tournicoté, envisagé des pistes, slalomant entre les piquets en accumulant les oxymores, liés par des « en même temps » qui font sa réputation dialectique. Va-t-on, comme pour le droit du travail vers des demi-mesures où on ne prend aucune option de clarté idéologique mais seulement des arbitrages « pragmatiques » qui ne changent pas grand-chose ?

On dira : ces questions sont certes des écueils mais on peut les traiter comme des bancs de sable, où on s’enlise durablement.

Second défi : le courage fiscal. La folie des hauts fonctionnaires, et en particulier dans la variante socialiste, est d’avoir poussé les prélèvements à des niveaux intenables et de l’avoir uniquement concentrée sur la fraction aisée de la population. Macron a aggravé les choses en proposant des mesures démagogiques d’achat de vote, alourdissant violemment la CSG, sans effet sur la compétitivité des entreprises. L’exonération de la taxe d'habitation, autre mesure sans aucun intérêt économique et destructeur d’unité nationale, n’a qu’un objectif électoral mais va déstabiliser beaucoup de choses. Avoir renoncé à supprimer l’ISF est une autre marque de lâcheté électoraliste.

Macron peut encore violer ses promesses. Ce serait bien. Il ne le fera probablement pas. Les conséquences seront nécessairement funestes.

Compte tenu de la dégradation des comptes publics en dépit de la petite reprise actuelle, qui fait rentrer de la TVA et de la CSG, les marges sont inexistantes. La crainte est que l’on continue la méthode « hollandaise » : étrangler là où on peut et où on a un prétexte de le faire, sans faire aucune réforme de fond.

Les Enarques français sont les rois de la défausse. Ils savent renvoyer sur les autres les difficultés du pays, qu’ils les aient créées ou non.

Troisième défi : l’influence internationale. On voit généralement le nouveau chef de l'Etat bien armé dans cet aspect du combat pour la prospérité. Mais comme le Cercle ne cesse de le dire, nous vivons dans un double désastre :

-          Le système de changes flottants et de déséquilibres systématiques imposés par les États-Unis depuis 1971

-          L’organisation de la zone Euro que nous jugeons depuis l’origine comme dysfonctionnelle.

Sur ces deux plans Emmanuel Macron n’a rien analysé, rien proposé. C’est le silence total. Et que se passera-t-il en cas de crise ?

On demande aux Français de la confiance. Mais comme pour François Hollande, on ne voit rien de déterminant dans le programme du nouveau Président et la seule carte que l’on joue est l’espérance d’une reprise mondiale durable. Pour beaucoup, le programme Macron, c’est Hollande moins les Frondeurs, un social-libéralisme sans véritables marqueurs de changement où l’on noie le poisson avec beaucoup d’eau tiède... Surtout pas d’aspérités !

Emmanuel Macron a obtenu un chèque en blanc, avec une cohorte de « marcheurs » qui sur tous les sujets précis n’ont aucune réponse claire et partagée. « On verra. Faites confiance. La bonne volonté par-delà les clivages entre gauche et droite, est bien là ».

Que peut dire l’observateur étranger à un pays ami qui en appelle ainsi à la foi dans un messie ?

Rien d’autre que « wait and see ».

 

Sylvain Dieudonné pour le Cercle des économistes e-toile.

Échec de l’économisme ou échec de l’économie ?

Dès la fin des années cinquante, marquées par l’exceptionnel enrichissement de ce qu’on appellera « les trente glorieuses », des voix se sont élevées pour expliquer que cette richesse n’était pas un vrai bien mais une aliénation, non pas un progrès mais une illusion. L’individu devenait solitaire dans la foule. Le dépouillement était de toute façon une valeur chrétienne fondamentale. La jouissance était un péché de gourmandise. Les religieux ont les premiers « sonné le tocsin » contre les méfaits du matérialisme. Les philosophes ont pris le relais. Dès la moitié des années soixante, on se piquait chez beaucoup d’entre eux de promouvoir le non-travail, le temps libre. On pouvait enfin accéder, grâce à l’automatisation (on ne disait pas encore : aux robots), à l’idéal grec : philosopher sans rien faire, sans l’ennui moral de l’esclavage. Les philosophes sont devenus de plus en plus critiques à mesure qu’ils étaient concurrencés par les sociologues. L’ennui était leur marxisme « méthodologique » qui leur a fait dire de multiples sottises et les a conduits à soutenir un système d’aliénation totale pour libérer l’humanité d’une aliénation supposée par la consommation.

L’économiste est devenu une espèce de galeux idéologique pour les tenants des religions, des idéologies, des idées et du primat du politique. Il est vrai qu’aux États-Unis, la croyance des économistes qu’ils avaient enfin trouvée leur pierre philosophale, la croissance indéfinie sans crise, les avait encouragés à pousser la discipline dans les universités et à obtenir des recrutements massifs dans l’administration dès le début des années soixante. Les autres pays suivirent et imitèrent. La place des économistes comme celle des sociologues grandit massivement dans les médias et la discussion politique.

Cinquante ans plus tard, il est curieux de constater qu’un nouveau mot est apparu dans les pays développés : l’économisme, forme de maladie sociale et intellectuelle grave, au même moment où l’effondrement du socialisme voyait des milliards d’humains se précipiter vers la consommation, sans tenir compte le moins du monde des idéalistes qui avaient mené le combat contre l’horreur communiste et qui croyaient à un socialisme à visage humain. La sauvegarde de la terre, ambition de droite dans les années d’avant-guerre, est devenue dès le début des années soixante-dix une ambition de gauche. L’écologie a décrété que l’économie était une maladie grave qui tuait la nature nourricière et que les Trente Glorieuses étaient en fait un génocide des espèces vivantes et, ses tenants, des criminels.

Nous en sommes là avec le retour des guerres de religions, la condamnation ontologique de l’individualisme, le refus du progrès, la condamnation de l’abomination des marques, et la désarticulation des clivages politiques traditionnels.

En France, la victoire surprenante d’un des candidats, Emmanuel Macron, avec effondrement des partis de gouvernement traditionnels depuis 1944, la gauche, le centre et la droite dites républicaines, provoque une montée d’adrénaline chez tous ceux qui considèrent l’économie, c’est-à-dire la prospérité matérielle, comme une tare.

Le Figaro Magazine a cru devoir ouvrir avec eux le procès de « l’économisme », succédané honteux d’une vraie religion, supposé animer les forces politiques balayées par le soudain tsunami, mais aussi le jeune vainqueur, ce qui paraît inacceptable à MM. Patrick Buisson et Marcel Gauchet. On le conjure d’abjurer cette funeste hérésie.

Pour eux tout le monde a tort dans cette affaire, les anciens comme les modernes.

Certes, affirme Buisson, le nouveau chef « a parfaitement analysé le vide émotionnel et imaginaire que la disparition de la figure du roi a creusé dans l’inconscient des Français ». « Accomplir des gestes et des rites qui ne vous appartiennent pas, qui viennent de plus loin que soi, permet de s’inscrire dans une continuité historique et d’affirmer une permanence qui transcende sa propre personne ». Voilà pour le satisfecit. Mais « Emmanuel Macron apparaît comme « la figure emblématique de cette nouvelle classe dominante qui aspire à substituer à tous ceux qui aspirent à un salut hors de l’économie […]». C’est très mal parce qu’« un système où l’économie commande l’organisation de la société est incapable de produire du sens ». Revoilà Mounier et sa « dissolution de la personne dans la matière ».

La droite a perdu pour ne pas avoir compris qu’il fallait en fait recréer un grand mouvement conservateur enraciné et enracinant, « subordonnant la matière à l’esprit », qui permettrait « de mettre fin à l’abaissement du politique au niveau de la gouvernance économique ».

Pour Marcel Gaucher le grand virage s’opère en 1974, « une rupture économique et sociale mais aussi anthropologique comparable à celle de 1 492 ». Wall Street et la City ont pris le manche dans la foulée de la hausse des prix du pétrole. Depuis « l’économie et la technocratie règnent en maîtres ». L’atomisation de la société autonomise les individus, désormais irréductibles à une classe. Privées de l’Église et du Parti communiste « les sociétés européennes seraient désormais confrontées à un malaise existentiel profond ».

En un mot l’homme nouveau du nouveau monde dominé par l’économisme, est désormais seul et désenchanté. Du coup il en vient à voter, dans l’extase, pour le vide macronien.

Bien entendu, notre résumé est réducteur. Les réflexions de nos deux auteurs sont souvent riches et intéressantes. Mais nous ressentons un profond désaccord sur un point : ce ne sont pas les économistes et leur religion supposée que serait l’économisme qui sont au cœur des mouvements constatés.

La grande mutation ne date pas comme le dit Gauchet de 1974 mais de 1971 où, pour des raisons impériales, les États-Unis prennent à contre-pied toutes les doctrines économiques du moment pour instituer un système de changes flottants et de domination économique violente. Il s’agit d’une voie de fait qui aboutira à une baisse tendancielle de la croissance, à l’aggravation des crises périodiques et à la montée de l’endettement, ce que nous appelons une économie baudruche, indéfendable en doctrine. Les économistes n’ont pas triomphé dans l’affaire : ils se sont couchés, car ils n’avaient aucun moyen de s’opposer sans risque de carrière ou par médiocrité. Seuls des économistes comme Sauvy, Allais, Rueff ont, en France, sauvé l’honneur de la profession, en montrant les vices inhérents au nouveau système vicieux mis en place. On n’a pas constaté le triomphe de l’économisme mais celui des rapports de force politiques.

Le succès du jeune Macron n’a rien à voir avec l’économie. Le coup d’État qui vient de réussir est comme nous l’avons démontré dans plusieurs articles, un pronunciamiento de la haute fonction publique, qui domine l’état, la société politique, les médias et la finance. Il n’y a rien de solide du point de vue économique dans le programme Macron. Les premières mesures sont fiscales et démagogiques. La dérégulation du travail est un leurre qui permet de satisfaire Bruxelles et qui n’aura dans les formes envisagées qu’un impact minime sur l’économie. De la même façon que les plans « Macron » précédents n’ont pas eu le moindre effet significatif.

Il est évident qu’un comportement un peu plus digne que les exploits de « Bidochon et Foutriquet », qui ont abaissé largement la fonction présidentielle, est bienvenu et apprécié de tous. Mais cela ne suffit pas.

L’économie est malade. Son organisation internationale et européenne est fautive. Elle restera inchangée. On ne constate pas un échec de l’économisme mais un état semi-comateux de l’économie. Le ras-le-bol des électeurs provient de la baisse constante de la croissance depuis 1971 et des conséquences sur l’emploi des explosions de dettes et des crises conjoncturelles résultantes. Ils croient naïvement, et ce n’est qu’en cela qu’on peut parler d’économisme, que leur malheur provient des partis qui ont alterné au pouvoir depuis 1971. On leur dit qu’en dépassant les vieux clivages « on » va pouvoir « faire les réformes nécessaires » et ils radotent « laissons leur une chance ».

Les malheurs du monde proviennent d’un défaut majeur d’organisation du système monétaire international qui n’est pas compris ni même cité, encore moins attaqué. La cause est politique. Le système de monnaie unique européen est également grevé de défauts structurels majeurs qui ne sont pas plus compris du plus grand nombre que traités. La cause est politique. La stupidité française du tout impôt qui a conduit à des dépenses publiques supérieures en valeur à la valeur ajoutée du secteur marchand, est une maladie politique, totalement antiéconomique.

La vérité de la situation devient plus claire :

-        Les Français sont las des impôts et des querelles idéologiques autour des solutions qui permettraient de sortir de la baisse continuelle du revenu par tête. Ils ont perdu confiance, après 40 ans d’incapacité à sortir du trou, dans les partis dits de gouvernements. Ils ont pu être trompés assez facilement par un nouveau venu qui a prétendu qu’on pouvait s’unir au-delà des divisions habituelles pour trouver des solutions efficaces, en vérité apolitiques. Ils l’ont été d’autant plus facilement que la manipulation médiatique a été gigantesque, dans un système où les médias ont perdu toute autonomie et où il n’y a qu’une poignée de décideurs vivant dans la dépendance de l’État.

-        Ce n’est pas l’économisme qui rend malade la société mais l’économie qui est malade des décisions désastreuses prises par les politiques pour des objectifs politiques.

Aujourd’hui la réflexion politique a comme toujours son autonomie par rapport à l’économie. Mais l’économie n’a pas d’autonomie par rapport au politique.

Entre ceux qui ne veulent plus de croissance pour sauver la terre et l’humanité, alors que 7 milliards d’humains veulent consommer et avoir enfin plus qu’une vie de misère et de survie, les stratégies de puissance des grands États, qui n’ont pas renoncé à leur surmoi géostratégique, l’irresponsabilité des pays qui laissent s’envoler la croissance de leur population et donc alimentent une émigration de masse déstabilisatrice, les stratégies d’entreprises mondialisées qui parviennent à échapper au droit commun et à imposer des comportements consuméristes désastreux, tout en échappant aux impôts, l’affaiblissement des États voulus par les bureaucrates de Bruxelles et les européistes militants, la dérive de la dictature des juges, les politiques et les électeurs sont totalement perdus.

L’ennui, dans le cas de la France et de l’élection du jeune Macron, c’est qu’il n’y a strictement rien, dans le programme confus et trompeur du dit, qui laisse planer le moindre espoir. La soumission à l’Europe supranationale paraît totale. Les nouvelles libertés données aux grandes entreprises multinationales et à elles seules, de dépecer le droit social, l’augmentation massive des impôts, sauf pour la finance et ses produits et la démagogie éhontée de l’achat de vote, n’annoncent rien de fondamentalement positifs. Il n’y a rien d’économique là-dedans, sinon du cynisme politique accompagné de licences microéconomiques et sectorielles pour des intérêts particuliers.

N’accusons pas les économistes ni l’économie d’un état de fait entièrement politique. Les pronunciamientos militaires ou de hauts fonctionnaires ont ceci de commun que l’économie n’en forme jamais la substance même si elle apparaît dans la tromperie des discours.

Disons-le nettement et à Marcel Gauchet et à Patrick Buisson : l’économie est malade. Elle ne l’est pas de l’économisme mais des jeux politiques, idéologiques et géostratégiques qui ont entraîné la mise en place d’organisations économiques défectueuses.

Saint Macron : de l’ivresse électorale aux conséquences de la démagogie

Que le nouveau président puisse être nimbé d'une aura quasi mystique, alors que nous sommes en plein dans le miniboom de fin de cycle (annonciateur d’un petit cahot conjoncturel dans les 3 à 18 mois) et après l’euphorie des premières présentations internationales, c’est classique et clôt de façon plutôt sympathique une séquence électorale éprouvante et même épouvantable. Le canon de la propagande, servi par une dizaine de filières médiatiques asservies, fait des élections législatives une simple formalité. La République en Marche obtiendra, « c’est sûr, certain, merveilleux et porteur d’un immense espoir », une majorité de godillots, format espadrille, qui permettra à notre nouveau Héros et Hérault national et européiste, de « faire les réformes que tout le monde attend depuis si longtemps ».

Pourquoi se pincer le nez devant tant d’extases ? « Il est né le divin président. Sonnez buccins, sonnez trompettes. Qu’il est beau, qu’il est charmant. Que ses grâces et ses poignées de main sont parfaites » !

Nous ne souhaitons pas gâcher une si belle fête démocratique ni ce moment de grâce républicaine. Puisqu’on entre dans le concret de la nouvelle gestion publique, il devient néanmoins nécessaire de revenir sur la malfaisance et la mauvaise inspiration de certaines mesures. Il ne s’agit pas de combat électoral mais de simple réflexion économique et « citoyenne » comme on dit aujourd’hui.

Parmi les mesures honteusement démagogiques développées pendant cette campagne, deux ont été portées par le nouveau Président énarque et son Premier Ministre énarque vient d’indiquer qu’il allait les mettre en œuvre bien qu’il les ait combattues lorsqu’il n’était pas en marche vers une jolie promotion.

La première est une vraie honte : pour avoir une sucette à proposer aux salariés, donc aux personnes en emploi, une forme de privilégiés en ces temps de chômage de masse, la démagogie électorale sans scrupule a conduit à proposer de transférer les cotisations salariales maladie et chômage sur… les retraités, les fonctionnaires et les épargnants.

Cela revenait à dire : moi candidat Président, je me sens autorisé à piquer directement de l’argent aux uns pour les donner aux autres pour me faire élire. Le but est purement électoral. Il s’agit d’un pur et simple achat de vote. L’effet sur la compétitivité des entreprises est nul, puisque le transfert n’affecte pas le coût salarial, simplement le net du bulletin de paie. « J’affiche un gain concret et je reporte une autre mesure, le prélèvement à la source, pour que ce gain se voit ». Habile, non ?

Lorsque le prélèvement à la source sera mis en œuvre, le gain apparent sera totalement gommé. L’effet électoraliste se dissipera. Mais qu’importe, on sera élu. Il ne s’agit que d’une habileté électoraliste. Il faut avoir « des mesures pour le pouvoir d’achat » pour se faire élire. On les a trouvées là. 

Dans la pratique, cela veut dire que tous les fonctionnaires vont voir leur paie diminuer de 1.7 %. Si on avait proposé cette mesure seule, à quelle révolte n'aurions-nous pas assisté ? Gageons que dans le silence des négociations, des accommodements seront trouvés. Après tout il suffit d’augmenter les salaires des fonctionnaires pour compenser. Compensation : le mot a déjà été prononcé.  Il reviendra dans l’actualité, mais un peu plus tard.

En revanche les retraités « riches » ( 60 % des retraités, la richesse a bon dos !) seront directement frappés et pas qu’un peu. La perte de disponible ne sera pas de 1.7 %. Il faut considérer le net disponible après impôts et après les frais fixes de logement. Compte tenu des niveaux d’impôts et l’aggravation des coûts du logement (doublement des prix immobiliers et frais imbéciles liés aux lois de type Duflot), le net-net « disponible » est en moyenne de 20 % et dans les tranches hautes, négatif. Les retraités fortunés savent tous qu’ils ne s’en sortent qu’en vendant une partie de leur épargne chaque année. La perte de disponible sera donc en moyenne de l’ordre de 20 % et dans des dizaines de milliers de cas de plus de 30 et dans bien des cas de soumis à l’ISF, notamment à Paris, de 100 %. Et plus. Cette mesure va aggraver la fuite des retraités vers des cieux fiscalement plus cléments. A nous le Portugal ou l’Italie !

Quant aux épargnants, on réduit le rendement des placements de 1.7 %. Sachant qu’il est historiquement bas (moins de 1 %) et souvent négatifs après ISF et inflation, il s'agit d’une pure spoliation. Le taux marginal d’impôt passera à près 68 %, chiffre tellement délirant, qu’il sera naturellement intenable tant les conséquences seront négatives. Rien de tout cela n’a de rationalité économique ou sociale. Il s’agit d’un simple vol électoral, dont les conséquences ne seront que négatives, sauf pour l’état qui s’y retrouvera largement.

Élire des Enarques a un coût fiscal national toujours très élevé.

La seconde mesure électoraliste honteuse est l'exonération de taxe d’habitation pour 80 % des assujettis. Il s’agit du même registre électoraliste : il faut donner du cash aux classes nombreuses pour répondre à la question clé de l’électeur consumériste : « que ferez-vous pour mon pouvoir d'achat » ?

Moins de 50 % des Français paient l’impôt sur le revenu. Moins de 20 % paieront donc la taxe d’habitation qui est l’impôt le plus simple à comprendre : participer aux frais de gestion de son lieu d'habitation, vraiment le minimum de ce qu’on peut exiger. Que la majorité des Français ne paient en apparence aucun impôt direct, voilà l’idée. On récupère tout sur la CSG et la TVA, impôts invisibles. Tel est le rêve des Inspecteurs du Trésor depuis des lustres. On taxe à mort les riches, qui ne peuvent pas fuir, en épargnant les très-très riches, et on libère, en apparence, « les masses » de tout effort fiscal.

Cette hypocrisie est le schéma élémentaire de l’Inspecteur des finances de basse comme de haute extraction, c.a.d. tendance Trésor. Quand on élit des Inspecteurs des Finances, on a les idées de l’Inspection des Finances. Surprise ! Surprise !

Les classes moyennes et moyennes supérieures sont des vaches à lait. Les très, très riches sont des associés. Le populo est une masse électorale qu’il faut soigner pour gagner les élections.

Le cynisme est total et tout le monde se prosterne, bouleversé par tant d’humanité et d’astuce. De Gaulle aurait, paraît-il, constaté que « les Français sont des veaux ». Comme souvent, il avait bien vu. Ils vont à l’abattoir fiscal en chantant des cantiques avec des couronnes de fleurs d’oranger sur la tête.

Notons que rien de tout cela n’aura d’effet sur la compétitivité des entreprises françaises.

La bonne politique était tout autre. La hausse du pouvoir d’achat des Français ne peut venir que de la croissance de la valeur ajoutée des entreprises du secteur marchand. Actuellement les grandes entreprises conduisent une politique suicidaire : elles augmentent les salaires plus vite que le PIB, pour conserver les salariés efficaces dans le cadre de la mondialisation, quitte ultérieurement à délocaliser. A quoi rime d’accélérer encore le mouvement ? Cette attitude avait déjà été la leur face aux trente-cinq heures : on accepte tout quitte à revenir sur des accords d’entreprise antérieurs, en encaissant les avantages. Puis on délocalise.

Le drame de l’économie française étant son manque de compétitivité, il fallait faire totalement autrement.

-          Augmenter la TVA pour transférer en partie sur les produits étrangers les frais supplémentaires de sécurité sociale. Elle n’aurait pratiquement aucun effet sur les prix dans la conjoncture actuelle.

-          Supprimer les 35 heures et porter à quarante heures la durée normale de travail, tout en rendant plus souple la répartition du temps de travail à travers l’année.

-          Éliminer celles des mesures Auroux, Rocard, Jospin et Hollande qui ont verrouillé totalement et étouffé les relations sociales dans l’entreprise et mis les juges en position de ruiner l’entreprise.

-          Déplacer tous les seuils qui empêchent qu’une entreprise devienne moyenne puis grande.

-          Reprendre la procédure budgétaire locale, départementale et régionale pour empêcher les dérives imbéciles constatées depuis 1981 et la décentralisation pourrie mise en place par Deferre.

On annonce que des résultats similaires seront obtenus en renvoyant sur des accords dérogatoires d’entreprise les réformes nécessaires. C’est une double escroquerie. D’abord parce que les politiques n’ont pas le courage de défaire eux-mêmes ce qu’ils ont mal fait. Ce sont des règles politiques nationales qu’il faut casser. L’affaire doit se passer au Parlement, pas dans les entreprises. La plupart des entreprises ne pourront rien négocier. L’inversion du droit social met le feu aux syndicats sans véritable efficacité. Le type même de la mesure perdante pour tout le monde.

Le cas du licenciement est caricatural et exemplaire à la fois. Giscard et Chirac d’abord, puis tous les gouvernements qui ont suivi, ont fait semblant de considérer que le licenciement était totalement illégitime. Ils ont légiféré sans cesse pour le rendre sinon impraticable, du moins horriblement lent et coûteux. Il est devenu impossible de s’opposer aux comportements sciemment malhonnêtes de salariés sans scrupule, d’ailleurs jamais dénoncés.

Il faut savoir qu’il y a en moyenne en France cent démissions pour un licenciement. Un futur salarié sur dix qui a signé un contrat d’embauche ne se présente pas le jour du début de son contrat. Il a trouvé autre chose dans l’intervalle qui lui convient mieux. Sanction ? Inexistante. La presse de Normandie donnait le mois dernier, l’exemple, tellement fréquent, d’un embauché qui, à peine sa période d’essais faite, s’était mis en arrêt maladie bidon et voulait négocier une indemnité de départ… Coût pour le malheureux artisan, 50 000 euros après deux années de galère (Vous ne pouvez pas licencier un salarié malade même si la maladie est bidon, ce qui dans le cas d’espèce a été reconnu par le tribunal qui n’a d’ailleurs pas sanctionné le médecin complice. Et vous ne pouvez pas recruter alors qu’un contrat nouveau devait être satisfait par l’embauche effective d’un spécialiste). Qui croit que l’inversion de la préséance de droits sociaux changera quoi que ce soit à ces véritables escroqueries, dont les greffes des tribunaux regorgent à travers toute la France, avec des spécialistes multirécidivistes qu’il est interdit de dénoncer sous peine de poursuites ?

Le courage aurait été de reconnaître qu’il n’y a pas de licenciement structurellement abusif en soi. L’entreprise doit pouvoir rapidement adapter ses effectifs à sa stratégie et à ses marchés. Pratiquement partout dans le monde, il existe un barème négocié en fonction de la durée dans l’entreprise et la collectivité prend le relais pour permettre la réinsertion ailleurs de celui qui n’a plus de rôle utile dans son travail antérieur. Seuls les licenciements collectifs majeurs de plusieurs dizaines ou centaines de salariés font l’objet de procédures collectives contraignantes.

Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de licenciement individuel abusif. Débaucher des cadres chez le concurrent puis les virer peu après est un acte de compétition déloyale. À ce titre il doit être indemnisé par le voyou. Certaines querelles de personnes sont également fautives. Cela ne concerne qu’un nombre ridiculement petit de cas. À peine quelques centaines par an. Nul besoin d'inverser les règles du droit social ni d’inventer des solutions intenables. Il faut que le législateur réduise la notion d’abus de licenciement à quelques cas bien cernés. Le reste doit être sorti du cadre judiciaire. Là encore, les hauts fonctionnaires, qui ne risquent jamais leur place, sont les plus mal placés pour fournir des solutions. Les Enarques Giscard et Chirac avaient commencé dans le délire avec l'autorisation préalable de licenciement. On continue dans le délire avec les faux-semblants des Enarques Macron et Philippe.

« Laissez leur chance, ils vont dans le bon sens » crie la vox journalandi.

Il faut avoir le courage de dire : NON ! CE N’EST PAS VRAI. Car ce n'est pas vrai.

L’affaire de l’exonération de charges sociales salariales et de l’exonération de l’impôt local n’a aucun intérêt national et n’aura que des effets négatifs à court, moyen et long terme.

L’affaire du renvoi vers l'entreprise dans des conditions absurdes et dans la plupart des cas impraticables du droit social abusivement étouffant est un détournement de responsabilité. Le non-traitement au fond du caractère « abusif » du licenciement est une défaillance de la volonté politique et non l’inverse.

Dans la même veine de faux-semblants s’ajoutent le simple report sans annulation de l’impôt à la source et les palinodies autour d’une mesure aussi caricaturalement technocratique que le « compte pénibilité ».

Comme il n’y a, par ailleurs, aucune réduction de l’emprise d’un secteur public démentiel et qui travaille peu, avec une productivité infime, on ne peut que livrer ce constat :

Nos deux énarques, et d'abord le divin Emmanuel, n’avaient qu’un projet électoral individuel épaulé par une caste et quelques affidés.

Au final, il ne restera de tout ce déballage qu’une hausse fiscale et des mesures cosmétiques et d’apparence qui suffiront sans doute à satisfaire Bruxelles, mais n’auront aucun effet certain sur l’emploi, qui dépendra de la conjoncture internationale dont nous profiterons moins que les autres comme d’habitude.

La haute fonction publique est en marche contre la nation depuis 1974. En grand danger de perdre ses privilèges et son emprise, elle a trouvé dans le Divin Emmanuel et quelques réseaux de financiers parasites de l’État, ou d’organes de presse soudoyés et aux abois, l’occasion de perdurer dans leur étranglement de la nation qui travaille et qui fait la prospérité et la dignité de ce pays.

Non. Définitivement non. Nous ne marchons pas dans la combine. Il n’y a strictement rien à attendre des premiers pas de l’équipe Macron, sinon des mesures démagogiques et cosmétiques.

Beaucoup verront dans cet irrédentisme, « le négativisme d’un fieffé groupe de déclinistes qui se roulent dans la fange de la critique systématique ». Nous considérions que le premier Macron, celui qui contestait les blocages de la « gauche vraiment de gauche » était intéressant. Depuis la parution du livre Révolution, vide de chez Vide, et des annonces démagogiques et électoralistes de Macron II, nous trouvons que tout cela s’apparente à un attrape-nigaud.

Après tout, il y aura peut-être un Macron III un peu plus proche des nécessités nationales. Ce qui est en train de se préparer avec la relance de l’Europe fédérale, avec budget européen et abandon de toute souveraineté économique, ne laisse rien présager de tel. On va vers plus d'enchantements médiatiques et de virevoltes émouvantes et moins de responsabilité française, moins d’efficacité concrète, moins de solidité économique.

L’impôt européen sera sans doute l’acmé de l'épisode Macron. Les « masses » n’y verront que du feu. Elles croient ne plus payer aucun impôt ! M. Juncker et sa Commission viennent de pondre un texte parfaitement clair sur les intentions des Eurolâtres antinationaux. Tout doit passer par la Commission, nouveau Gouvernement de l’Europe Unie, sous le contrôle « démocratique » de l'Assemblée Européenne.

En attendant l’électeur français est sommé de se prosterner dans l’adoration du nouveau Messie interplanétaire et anglophonophile, « à l’œil et la main d’acier ». Stupéfié par un engouement si sûr, l’OCDE en a profité pour publier dans toutes langues possibles sauf le Français, son dernier rapport de conjoncture, rédigé naturellement par une économiste américaine. Pourquoi se gêner ?

Le Français, né malin, comme chacun sait, s’est fait la spécialité d’être constamment un cocu électoral magnifique, avec le choix répété de présidents consternants depuis Pompidou. Mais rarement, depuis peut-être Pétain, on l'avait vu dans une telle extase du n’importe quoi trompeur et débilitant.

 



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Le cercle des économistes regroupés dans E-TOILE autour de Didier Dufau, Economiste en Chef,   aborde des questions largement tabous dans les media français et internationaux soit du fait de leur complexité apparente, soit  parce que l'esprit du temps interdit qu'on en discute a fond. Visions critiques sur les changes flottants,  explications  sur le retard français,   analyses de la langueur de l'Europe,  réalités de la mondialisation,  les économistes d'E-Toile, contrairement aux medias français, ne refusent aucun débat. Ils prennent le risque d'annoncer des évolutions tres a l'avance et éclairent l'actualité avec une force de perception remarquable.

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